Exposition individuelle à la Galerie Argentine, Consulat d'Argentine, Paris
2015

présentée par María del Carmen Squeff, Ambassadeur de la République Argentine en France et Susana Rinaldi, Attachée Culturelle de la République Argentine en France.
Textes de Diego Barletta


Alvarez


L’orange déguisée.
De doux et diffus éléments familiers discutent furtivement sur la température à laquelle on doit manger l’orange. Parce que ce battement rectangulaire et fluo qui tend la composition depuis son centre jusqu’aux limites du regardable, bon, ce qui semblerait être une table, non, ce n’est pas une table mais une orange déguisée que le spectateur doit manger pour pouvoir goûter au tableau. Il faut la peler et la manger sans couverts, supporter la sympathique acidité du fruit, voire même en se salissant un peu des doigts. Mais quand tu manges le fruit du centre … quel plaisir ! Maintenant, oui, cet espace intérieur et familier s’entrouvre et le plafond devient tapis, ciels, vents de coussins pluvieux ....
Mais ne nous enthousiasmons pas, le chien transparent ne sait que trop que le rectangle incandescent ruinera toute tentative ludique et c’est pour ça qu’il le regarde désolé. Sa seule consolation est la fraternité avec la proto-oreille déguisée en gourmandise géométrique dans le coin supérieur droit. Le contour du chien (c’est-à-dire tout le chien) connaît le poids des restrictions atroces qu’impose l’agrume strident.
Nous pouvons rêver, nous pouvons même rêver de toutes les couleurs, mais nous n’accéderons pas à ce passé, oh no le petit chien, oh no.


Le Voyage Immobile


Nous avons commencé aujourd’hui à peindre les murs, qui étaient très abîmés par l’humidité. Mais ce qui s’est passé c’est que la perfection de la couleur que nous avons choisie provoqua l’admiration stupéfaite du sol, qui n’a pas trouvé mieux pour exprimer le ressenti de sa vie piétinée que de se couvrir d’une patine larmoyante et polie, miroir diaphane qui emporta vers le bas tout l’espace de notre cher local.
Demain, nous devrons plonger pour continuer à peindre ; je ne sais pas si je prendrai mon parapluie ou un aérosol antitaches.

Castelli


Pourquoi es-tu si insaisissable alors que je t’évoque si intensément?
Plus t’es proche dans le rêve, plus t’es encerclée par les objets.
Ils te griffent, t’estompent, te baignent d’un amour décoloré qui te met à distance.
Dans ce présent, tu n’es à l’aise qu’entre diagonales,
tu demandes des convergences obliques, tu demandes des pluies tordues,
tu demandes le berceau de la perspective
pour me donner ton regard,
pour me donner cette ombre
dans laquelle je mets mathématiquement ta bonté et ton sourire.


La Fuite Royale


Quand la partie de cartes commence, il est essentiel de feindre la distraction.
Un joueur caresse la mascotte, un autre fait semblant d’être occupé à expliquer aux enfants la différence entre le bleu outremer et le bleu de Prusse. En fait, les joueurs sont terrorisés parce que l’un des rivaux n’est pas humain. Ils auront à concourir contre le concept même de transparence, qui attend ses cartes le sourire aux lèvres. Les enfants regardent les bleus mais savent que si maman perd, son entité sera liquéfiée et elle ne servira plus qu’à faire effigie pour orner de petits billets.
Rien que d’y penser le cœur leur saute de la bouche et devient selle de vélo.


Laborantines


Le professeur de peinture a eu une idée géniale pour ce cours:
les élèves se dessineront d’abord eux-mêmes en tant que dessinateurs et ensuite se concentreront pour que les dessins dessinateurs dessinent des dessins illustrant la difficulté, la passion, la patience, le surgissement impromptu des volumes.
Les élèves et les dessins des élèves protestent avec véhémence, clament que c’est trop de boulot, et qu’en plus c’est dangereux, car si on met un dessin à dessiner et qu’on manque d’autorité ontologique pour cadrer son œuvre, il pourrait arriver qu’un dessin dessinateur dessine un dessin dont le message univoque soit que le dessin c’est NOUS-MEMES, non seulement comme élèves mais comme spectateurs de l’art, simples prismes de brume qui croyons donner un avis.
« Comme c’est complexe. Comme cet artiste est sophistiqué!".
Bien entendu, le professeur écarte ces objections et met ses petits élèves à dessiner.


D'un Extrême à l'Autre


- Ne penses-tu pas qu’il est trop tard, à cette heure-ci, pour continuer à porter l’escabeau ? Pense que nous ne pourrons pas le lâcher tant que nous ne serons pas à l’autre bout.
- Je crains que malgré l’heure tardive, il est nécessaire de porter l’escabeau jusqu’au bout.
- Mais regarde, les chaises deviennent peu à peu des fantasmes et dans le cas peu probable mais pas tout à impossible où l’escabeau deviendrait lui aussi peu à peu fantasme au cours des mètres que nous avons encore à parcourir, il pourrait arriver qu’au moment où nous grimperons, sa fonctionnalité soit bouleversée et qu’il soit déjà en train de devenir toboggan (si nous pensions descendre) ou grue (si nous pensions monter).
- Je reconnais qu’il serait très fâcheux. Mais nous devons tailler cette plante grimpante.


Sans-titre


Cette fille ne pouvait pas choisir le jouet avec lequel elle s’amuserait et si profonde était son indécision qu’entre ses mains a pris corps le panguet, jouet conceptuel universel constitué de la somme de tous les vides enfermés par tous et chacun des jouets de ce monde.
Peu à peu, face à cette œuvre, nous acceptons que la fille se laisse emporter par l’horrible panguet, qui lui lie peu à peu les mains avec le vide des poupées (aisselles, espaces entre les genoux, brèches entre les épaules et le cou, chansons brisées et autres magies implacables du cauchemar des poupées), vides de tables et de lits pour jouer, vides qui se vident et s’érigent bleus et brillants d’absence, indifférents aux lumières qui s’incrustent dans l’eau.
Le panguet fera feu à jamais sur les vides qui restent entre les souvenirs et la fille sera punie pour ne pas savoir quel jouet choisir pour jouer et sera rapidement entraînée vers un travail éternel.


Sans-titre


Des meubles sous leurs housses dorment aussi intensément que la fille en position de housse sur des chaises sans housse.
Le paysage se détricote en reflets et en radiographies de meubles rêvés par des filles qui rêvent de soulever les housses des meubles protégés par des filles sans housse.


Sans-titre


Il y a quelque chose de secret dans la dignité des carreaux de faïence, c’est qu’ils sont fâchés de ne pas être des meubles. Ils doivent supporter de n’être que de simples petits carrés de matériel. En plus, ils doivent se taper la saleté, les montagnes de vapeur, leur propre fragilité.
Ici, ils ont été obligés de rester comme ils sont d’habitude, carrés et silencieux, alors que la baigneuse leur infligeait de très délicats et colorés êtres océaniques traversés dans leurs parties les plus sensibles par de douces ridules, peints dans une couleur jaune digne d’un ours polaire ensommeillé.
Avec son casque de transparence céleste, la baigneuse cherche à imprégner les maladroits carreaux de faïence de la magie de la nostalgie.
Enfin, las carreaux comprennent que la torture de la vapeur multicolore était justifiée et ils se parent peu à peu de leurs modestes couleurs, les pauvres, pour montrer que leur dignité leur permet de faire partie du jeu.
Donc, toi, spectateur du tableau, sois plus respectueux avec ces petits marrons verdâtres qui surgissent peu à peu du cœur des carreaux les moins timides.


Sans-titre


Une autre fille grimpe à travers un labyrinthe de chaises et d’étagères à la recherche du paquet caravane. Bien sûr, en grimpant sur ce matériel brumeux, ce qui ne devait pas arriver est arrivé, et une autre tête lui est née à la taille, une tête qui regarde vers le bas et reste absorbée par la plus absolue des magies de certaines enfances : la magie des meubles. Dans sa tendre immobilité, le meuble demande à être iceberg, demande à être machine et demande à être cachette à gourmandises qui peuvent fuir à tout moment en caravane. Dépêche-toi, oh fille, car les meubles cesseront de se surveiller les uns les autres et ton équilibre précaire s’en ira au diable.